La genèse de la forme

L’AMPHITHEATRE

« Lorsque n’importe quel événement digne d’être vu se passe dans un endroit plat, et que tous le monde accourt, ceux qui se trouvent à l’arrière cherchent par tous les moyens à s’élever au dessus de ceux qui sont en avant. On monte sur des bancs, on roule sur des tonneaux, on amène des voitures, on pose des planches dans un sens et dans l’autre, on occupe un tertre voisin, et rapidement il se forme un cratère. »

Extraits du « Voyage en Italie » de Goethe daté du 16 septembre 1786.Goethe

« Goethe cherche une genèse qui est dans le mouvement de la foule, dans la vie sociale et populeuse, et il arrive à cette idée originale d’une sorte de genèse spontanée, de spectateurs curieux qui, peu à peu, donne corps à cette forme qu’il appelle le cratère. » L’amphithéâtre serait plus une disposition de la foule plutôt qu’une figure architecturale. (Jean Lacoste)

Le cratère que décrit Goethe est-il déjà une forme architecturale ? Quoiqu’un peu désorganisée et sans architecte, (la belle barricade !) il s’agit bien d’une construction, qui, étant utilisée comme telle, mérite le titre d’amphithéâtre. De la même façon, le « tertre voisin » dont parle Goethe, peut être considéré comme un amphithéâtre ; aussi le mot « cirque » désigne à la fois la figure architecturale et la forme géologique qui l’a inspirée. Ainsi, qu’il soit naturel ou artificiel, le paysage se confond parfois avec l’architecture. C’est le cas des orgues basaltiques qui ont longtemps étés attribués à des civilisations oubliées (fig. 2).

L’amphithéâtre de palettes cherche à susciter cette même ambigüité chez celui qui l’arpente. S’agit-il d’un simple tas négligemment placé dans un coin du terrain ? Lorsque l’on s’en approche et que l’on gravit ses terrasses irrégulières, quelques détails trahissent l’apparente spontanéité de cet empilement. Les faces supérieures des palettes habituellement ajourées sont jointives, les colonnes sont fixées les unes aux autres sans le moindre jour et celles qui se trouvent contre les palissades y sont soudées mystérieusement (fig.4).


« L’amphithéâtre est donc le premier monument important de l’antiquité que je vois et si bien conservé. Quand j’entrai, et plus encore en me promenant en haut sur le bord, il me paru étrange de voir quelque chose de grand, et pourtant à proprement parler, de ne rien voir. Aussi ne faut-il pas le voir vide mais plein de monde. »

Extraits du « Voyage en Italie », à propos de l’amphithéâtre de Vérone (fig.1). Goethe

En 1786 Goethe visite les arènes de Vérone. La foule rendrait invisible la structure architectonique de l’édifice, mais à ce moment là, le monument est vide et pourtant il nous dit ne rien voir. Goethe réaffirme ainsi, à sa manière, que l’architecture n’est pas une fin en soit, qu’elle n’existe qu’à travers l’usage que l’on en fait.

Et c’est en même temps cette foule qui par sa présence donne corps à l’édifice, mais c’est aussi chaque individu qui, ajoutant ce qu’il trouve en route, construit l’amphithéâtre. S’agirait-il d’une sculpture sociale telle que la définie joseph Beuys ? Est-ce une performance artistique ? On reconnaitra la parenté à cette œuvre contemporaine de Jacques Alexandre Gillois qui, tout au long d’une exposition, fabrique puis accumule dans une répétition infinie, un petit cube rouge qu’il place contre le précédent. Il en résulte une prolifération à l’issue incertaine, fruit d’un « taylorisme empirique » nous dit l’artiste (fig. 3).

De la même façon se construit, depuis un recoin de la friche, l’amphithéâtre. Comme pour le cratère de Goethe, on empile les matériaux disponibles là et maintenant. Aussi, les palettes usagées qui le composent proviennent de l’entreprise voisine, qui cherche à s’en débarrasser. Celles-ci constituent à la fois la structure de l’édifice et fournissent en planches et clous (détordus) les travaux de finition. L’empilement que l’on obtient enfin matérialise et est matérialisé par quelques semaines de récupération de ses déchets.

Et finalement, en choisissant de travailler dans la précarité des matériaux de rebut, on redécouvre l’essence de l’architecture, inspirée des usages spontanés et libre de l’habitant, acteur de son cadre de vie. Nous sommes loin de la surenchère technique ou technologique qui guide l’architecture contemporaine et dont se satisfont les industriels du « Développement Durable ».

Henri Ramet, étudiant master 2 ENSAG 17/05/2008